Propos recueillis par Jean-Raphaël Peytregnet

 

Qu’est-ce qui vous a incité à candidater pour ces fonctions de directrice générale du Centre Pompidou ? Est-ce que cela procédait d’un intérêt pour l’art moderne et contemporain?

 

J’ai été nommée directrice du Centre Pompidou en 2017, après une expérience et une immersion complète dans l’art contemporain qui a duré six ans à la direction générale du Palais de Tokyo. C’était un établissement plus petit et j’avais plus de temps à consacrer aux artistes au plus proche de la création contemporaine qui me passionne.

 

Notre mission était de révéler, d’accompagner des jeunes artistes dont la plupart n’avaient pas de galeries et de leur proposer une première exposition au Palais de Tokyo. Il s’agissait aussi de produire des projets d’artistes plus expérimentés de la scène française comme Philippe Parreno, Camille Henrot, Jean-Michel Alberola, Fabrice Hyber pour ne citer que ces quelques noms. Une partie de ma mission était de superviser la production de toutes ces grandes expositions. Le Palais de Tokyo a été pour moi comme un petit laboratoire en comparaison de ce qu’est le Centre Pompidou qui est dix fois plus important en termes de budget, de personnel, de taille et d’envergure. Au Centre Pompidou, j’ai découvert également une autre dimension plus internationale, diplomatique, faite de négociations, de projets et de partenariats à l’étranger. Dont la Chine, avec l’ouverture du Centre Pompidou à Shanghai en 2019, Bruxelles en préfiguration en 2018 pour une ouverture prévue en 2025, Jersey City en 2027, Malaga qui a déjà ouvert et avec qui nous allons renouveler notre partenariat, et enfin la Corée, en 2025.

 

Beaubourg va fermer pendant cinq ans. Qu’est-ce que le Centre va devenir pendant ce temps-là ?

 

Il s’agit de faire une très grosse restauration du bâtiment, qui est iconique mais qui est aussi un prototype, qu’il va falloir rénover de fond en comble, y compris sa façade que nous allons changer pour rendre le bâtiment plus écologique. S’ajoute à cela un projet culturel, consistant à repenser la scénographie du musée, transformer la bibliothèque en l’adaptant aux nouveaux usages des étudiants et des usagers. Nous allons aussi créer une grande plateforme pluridisciplinaire dédiée à la création contemporaine, transformer le forum avec un pôle pour la jeunesse, commun avec la Bibliothèque publique d’information, un pôle plus commercial avec des boutiques et un restaurant. Nous allons également retrouver de la transparence sur la ville que l’on avait un peu perdue.

Pendant les travaux, le Centre Pompidou sera présent à Paris, en régions et à l’international grâce à de nombreux partenariats qu’on réunit sous le nom de « projet constellation ».

A Shanghai, vous avez renouvelé votre partenariat pour cinq ans et il a été inauguré par le président Macron en 2019, donc deux années après votre nomination, juste avant la crise du Covid. N’avez-vous pas craint à cet instant-là que le projet soit compromis ? Dans quel état d’esprit étiez-vous à ce moment-là ?

 

Il s’agit d’un partenariat international de coopération culturelle entre un musée qui s’appelle le West Bund Museum, que notre partenaire souhaitait créer pour dynamiser la zone du West Bund pour en faire une zone de développement économique et culturelle. Pour eux, il était important d’avoir un partenariat international comme le Centre Pompidou.

Le partenaire est responsable de son investissement, du fonctionnement et du budget opérationnel. Le Centre Pompidou apporte dans ce partenariat ses œuvres, son savoir-faire, son expertise, ses commissaires pour les expositions, de la formation ainsi que sa marque en association puisque le projet porte l’appellation West Bund Museum – Centre Pompidou.

Quand je suis arrivée au Centre Pompidou, j’ai passé deux ans à négocier le contrat et préparer l’ouverture du musée et la montée en compétence de leurs équipes. Le président de la République, Emmanuel Macron, est venu en novembre 2019 pour inaugurer le Musée et fin janvier 2020, le Covid est apparu en Chine provoquant la fermeture de la frontière et empêchant ainsi nos équipes de revenir à Shanghai de janvier 2020 à avril 2023.

Nous avons en effet craint que le projet ne survive pas à cette période difficile. C’est dire sa force et la solidité des équipes de part et d’autre, unies pour y arriver. En fait le Musée n’a pas été fermé pendant toute la période. Nous avons fait des expositions, dont une consacrée à Kandinsky, une exposition de design ou encore d’architecture. Les commissaires étaient en WhatsApp vidéo avec leurs correspondants en Chine pour rendre possible ces expositions. Les expositions se sont très bien déroulées malgré l’absence totale sur place des équipes françaises mais avec des équipes chinoises à l’écoute, très professionnelles, qui ont permis de continuer la programmation malgré les deux périodes de confinement en Chine.

Mais il est vrai qu’en 2022, compte tenu de la situation de la crise sanitaire en Chine, d’aucuns pouvaient penser que nous n’arriverions pas à renouveler notre partenariat. Début 2023, la visite du Président Macron en Chine a facilité le renouvellement du contrat dans la déclaration conjointe, ce qui a permis de le reconduire au moment où la frontière a été rouverte.

 

Le West Bund Museum – Centre Pompidou n’est donc pas une installation permanente. Est-ce que ce n’est pas gênant pour un musée comme le Centre Pompidou ?

 

L’approche que le Centre Pompidou a choisie est un peu différente de celle du Louvre Abu Dhabi qui a signé un contrat de trente ans, c’est une approche de courte durée pour apprendre à travailler ensemble et voir si nous avions envie de poursuivre notre collaboration. Par exemple avec Malaga en Andalousie, nous avons un contrat de cinq ans qui a été renouvelé une fois et qui est aujourd’hui en renégociation pour dix années supplémentaires.

Pour ce qui concerne la Chine, tant que du côté chinois que du côté français, nous nous sommes dit qu’un partenariat de cinq ans constituait une bonne durée pour apprendre à travailler ensemble, pour les Chinois comme pour le Centre Pompidou. Nous sommes finalement parvenus à la conclusion que cela valait la peine de prolonger ce partenariat pour une seconde période.

Je ne suis pas certaine qu’il y ait une volonté que ce partenariat devienne pérenne. Au Centre Pompidou nous sommes plutôt dans une logique de transfert d’expérience et d’expertise et notre partenaire souhaite probablement, à terme, être autonome. Notre deuxième contrat comporte deux fois moins d’expositions qui seront conçues par nos équipes, cela veut donc dire qu’ils seront en charge de la programmation de la moitié des expositions.

 

C’est une décision qui vous a précédée, mais pourquoi avoir choisi Shanghai plutôt que Séoul ou Tokyo, qui sont en matière d’art contemporain, d’art moderne, bien plus en avance que la Chine ?

Le Centre Pompidou avait de longue date envie de travailler avec la Chine. Les relations artistiques entre la France et la Chine sont anciennes. Il y avait de notre part une curiosité pour la scène chinoise et l’envie de travailler avec ce pays. Par ailleurs nous avons construit un projet à Séoul en 2025 qui est un peu différent puisqu’il s’agit uniquement d’un programme d’expositions, il y a moins cette logique de transfert d’expertise, formation, espace pour enfants qui sont vraiment les composantes complètes du Musée à Shanghai. Au Japon, les musées sont déjà très nombreux.

Nous sommes, avec eux, plutôt dans une logique de circulation d’expositions. Nous avons présenté ces dernières années une exposition Matisse à Tokyo. Je suis également allée en septembre inaugurer une exposition sur le cubisme qui sera ouverte ce mois-ci à Kyoto. D’autres expositions sont également prévues pendant la durée de rénovation du Centre Pompidou. Nos œuvres vont circuler un peu partout dans le monde et en particulier en Asie.

 

Et concernant l’Inde ?

 

Nous avons aujourd’hui peu de liens avec les grands musées indiens. Il s’agit d’un axe qu’il va falloir que nous développions. En revanche, il y a une demande d’expertise qui est importante et, évidemment, une scène artistique passionnante. Dans ces projets de partenariat, les échanges culturels et la découverte et la mise en valeur d’artistes, que cela soit en Chine ou en Inde, sont très précieux pour nous. Pour enrichir les collections du Centre Pompidou, il y a aussi une logique d’acquisition des œuvres de certains artistes que l’on découvre à l’occasion de ces projets pluriannuels.

Avec l’Inde, nous sommes évidemment sur une scène très riche, à la fois contemporaine et historique. C’est ainsi que nous avons organisé, en 2023, en coopération avec la Fondation France-Asie, une exposition du peintre Sayed Haider Raza.

 

Pouvez-vous nous parler de la collaboration que vous entretenez avec les autorités chinoises dans vos projets d’exposition ?

 

Nous savons qu’il y a des sujets qui sont difficiles à montrer. Dans le champ de l’art moderne, contemporain et de notre collection, nous avons un espace de possibilités immenses pour faire des expositions. Nous avons par exemple réalisé une exposition sur les femmes et l’abstraction qui était magnifique, une exposition Kandinsky, comme je vous l’ai dit précédemment.

Nous avons également montré des artistes chinois contemporains. Nous avons ouvert, à l’inauguration du musée en 2019, avec une exposition d’art vidéo. Toutes les œuvres, les expositions sont supervisées en Chine par le ministère de la Culture avec lequel nous discutons. Il peut arriver que des œuvres soient rejetées mais c’est très peu fréquent.

 

A l’occasion du 60ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques franco-chinoise, avez-vous des projets d’expositions, notamment avec le West Bund Museum ?

 

A Shanghai, il n’y a pas de programmation spécifique. Nous avons eu l’annonce du renouvellement du partenariat entre nos deux musées qui est l’élément fort de notre collaboration qui commence pour cette année du soixantenaire. En France, le contrat que nous avons avec nos partenaires chinois prévoit l’organisation d’évènements autour d’artistes chinois qui seront présentés au mois d’octobre au Centre Pompidou à Paris. C’est le fruit d’un co-commissariat franco-chinois et de recherches que nous avons menées ensemble sur la scène contemporaine chinoise.

 

Lorsque l’on compare l’architecture du Centre Pompidou que l’on surnomme « Notre Dame des Tuyaux », et celle du West Bund Museum à Shanghai, l’architecture de ce dernier apparaît plus conventionnelle, moins moderne ou contemporaine ?

 

Lorsque commencent les discussions avec un partenaire étranger, il arrive qu’il ait déjà une idée de l’architecte à qui il souhaite confier la construction ou la rénovation du musée, ce qui était le cas du West Bund Museum. David Chipperfield a été retenu pour la conception de ce projet et nous en étions ravis, c’est un très grand architecte mondialement reconnu.

 

Avez-vous d’autres projets en Asie ?

 

Nous avons des projets de tournées d’expositions. En Chine, nous aimerions faire tourner les expositions dans d’autres villes que ce soient celles qui sont présentées au West Bund Museum ou d’autres. Nous observons un vrai engouement des musées chinois et des grandes villes chinoises pour nos expositions.

Nous accueillons des délégations très régulièrement, de Shenzhen, aujourd’hui de Chengdu avec laquelle nous avions travaillé en 2018 déjà sur un projet d’art contemporain avec des jeunes artistes émergents et peut être Macao. Nous avons des relations avec le Musée M+ à Hong Kong depuis longtemps, nous y faisons aussi des expositions. S’agissant de l’Asie du Sud-Est, nous accomplissons tout un travail de prospection d’artistes en lien avec une conservatrice du Musée et avec une curatrice de Singapour.

Notre objectif est de mieux faire connaître cette scène en France ainsi que de faire entrer des œuvres asiatiques dans la collection du Centre Pompidou.

Nous souhaitons aussi organiser des colloques ou des évènements autour de ces œuvres et de ces artistes d’Asie du Sud-Est. De ce point de vue-là, Singapour est vraiment un hub important, une porte d’entrée sur l’art de l’Asie du Sud-Est. C’est donc très précieux pour nos projets de recherche. Dans les nouvelles géographies de l’art contemporain, ce n’est pas forcément un secteur qui a été très expertisé historiquement au Centre Pompidou. C’est donc une zone où nous investissons beaucoup, plutôt en termes de recherche, que d’expositions ou de partenariats.

 

Nous arrivons à la fin de notre interview. Est-ce qu’il y a un sujet que vous aimeriez en particulier aborder ?

 

Oui, les publics. Nous avons fait une exposition dernièrement sur le surréalisme et l’Asie mettant en avant certaines inspirations asiatiques du mouvement surréaliste.

Dans l’expositions Kandinsky, il y avait des bronzes du Musée de Shanghai qui permettaient de montrer que Kandinsky, dans son travail, avait été inspiré par des expositions d’art asiatique. Dans cette exposition, il y avait effectivement des œuvres exceptionnelles prêtées par le musée de Shanghai, à la fois des peintures, des calligraphies, qui montrent le dialogue entre notre collection et l’art asiatique. Nous avons un public qui est de plus en plus intéressé, jeune, et nous voyons qu’il y a un réel engouement en Chine pour l’art contemporain. Ce qui est intéressant c’est que le musée est positionné géographiquement en face du lieu de la Foire ou de la Biennale de Shanghai, une zone qui est donc très fréquentée culturellement.

Bien sûr, ce ne sont pas les fréquentations que l’on retrouve en France. L’année dernière nous avons eu autour de deux cent mille visiteurs, ce qui est faible comparé à des expositions en France mais qui, pour la Chine, commence à être assez significatif.

Nous souhaitons dans la durée susciter l’envie du public chinois, des Shanghaiens de venir, entre amis, entre jeunes. Avec les écoles chinoises, c’est plus difficile mais il y a quand même quelques visites de groupes qui fonctionnent. Nous souhaitons être dans un dialogue des cultures.

Ces collaborations prennent du temps. Les premières années ont été compliquées. Mais nous sommes vraiment heureux de renouveler notre partenariat pour installer cette collaboration dans la durée. Encore une fois ce n’est pas un Centre Pompidou comme à Paris, ce n’est pas le Centre Pompidou qui fait tout, qui avance tout seul et qui s’implante à Shanghai.

C’est un partenariat avec un musée qui se créé et qui veut apprendre à faire des expositions, à apprendre à former son personnel. C’est vraiment un projet de coopération culturelle avec une dimension d’expertise et de formation, avec des interlocuteurs qui sont excellents. Concernant la programmation culturelle dans un lieu nouveau, dans un pays où le Centre Pompidou n’a pas travaillé, nous apprenons avec le temps.

Il faut ajuster sa programmation en fonction de ce qui marche, de ce qui résonne avec le public. Pour les premières expositions nous avons fait ce que nous pensions être bien collectivement. On le voit aujourd’hui, c’est pour cela que je vous parlais du surréalisme et de l’Asie, l’exposition sur le design, nous voyons que le public aime le dialogue entre les artistes chinois et les collections qui sont les nôtres.

 

Pensez-vous que le West Bund sera en mesure de s’approprier le concept du Centre Pompidou ?

 

Ce qui étonnant, contrairement à d’autres musées qui se créent, c’est qu’ils ne sont absolument pas dans une logique d’acquisition de collections. Ils n’achètent pas d’œuvres. Le Musée d’Abu Dhabi a mis beaucoup d’argent pour constituer sa propre collection à terme. Le West Bund n’est pas du tout dans cette logique d’acquisitions. Quelle sera la ligne artistique d’un musée si la collaboration avec le centre Pompidou s’arrête ? Je ne peux pas le dire. Je pense qu’ils ont des ambitions très fortes et que ce projet contribue à faire de Shanghai et de la zone West Bund en particulier un hub de niveau international sur le plan culturel. Ils souhaitent que ce soit un centre névralgique de l’art contemporain mondial.

Ce qui est intéressant, c’est que depuis que nous nous sommes installés, l’écosystème culturel à Shanghai a évolué très vite. Dès son ouverture, le Musée de Pudong dans le bâtiment de Jean Nouvel, qui est au pied de la tour Shanghai, a bénéficié d’une fréquentation touristique importante. Les musées de Shanghai se sont mis à faire beaucoup d’expositions internationales avec des grands musées. Je n’étais pas retournée à Shanghai depuis 2019. Aujourd’hui j’y observe un vrai changement. Le Centre Pompidou était à l’époque un des seuls à faire des expositions dans le domaine de l’art contemporain et moderne.

Aujourd’hui quand on se rend à Shanghai, on a le choix entre cinq ou six expositions de niveau international.

Le constat est qu’après la crise sanitaire du Covid, nous avons assisté à un développement exponentiel du nombre de lieux culturels avec des partenaires internationaux, et donc une fréquentation pour les expositions beaucoup plus importante qu’auparavant.

Le Centre Pompidou a certainement eu un effet d’entraînement sur l’écosystème autour de l’art moderne et contemporain mais c’est difficile de le mesurer !

Ce projet suscite de l’intérêt et de la curiosité. Le contrat a été renouvelé pour une période de cinq ans et nous recevons très fréquemment des délégations chinoises depuis la réouverture de la frontière.

Nous avons même récemment reçu le ministre de la culture et du tourisme chinois, M Sun Yeli, qui était à Paris. Il est venu visiter le Centre Pompidou et nous a indiqué se réjouir de cette collaboration culturelle.

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